Pêche du lieu jaune – Que fait-on pour les pêcheurs menacés ? Portrait de Victor Plouhinec Guilcher

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Le 26 janvier 2024

Ils s’appellent Gaëtan, François, Romain, Gilles, Eric, Victor … Leurs points communs ? Ils sont tous pêcheurs ligneurs, et dépendent d’une espèce de poisson, le lieu jaune, dont les quotas de pêche ont été brutalement et fortement  réduits à partir de cette année 2024.

Autre point commun, ils appartiennent à une certaine catégorie de pêcheurs, celle des « Hors OP » (pour Organisation de Producteurs). Les OP sont des structures regroupant des pêcheurs professionnels, ayant notamment pour rôle la gestion et la redistribution collective des quotas de pêche auprès de leurs adhérents. Dans le cas du lieu jaune, en Manche comme dans le golfe de Gascogne, la quasi intégralité des quotas sont détenues par les OP. En conséquence, les pêcheurs hors OP doivent se partager la part de quota restante dite « hors OP », en l’occurrence quelques tonnes de lieu pour des dizaines de navires…

Pour certains, les conséquences de cette situation sont catastrophiques, le lieu jaune représentant la majeure partie de leur pêche, jusqu’à 90% de leur chiffre d’affaires. Pour un ligneur en Manche, il n’y a aucune possibilité de report sur d’autres espèces, et l’avenir de leur entreprise est menacé à très court terme…

Alors que l’administration, les comités des pêches ou les OP communiquent fortement sur la formation et l’installation de la nouvelle génération de pêcheurs pour remplacer l’actuelle, dont la moyenne d’âge augmente de plus en plus, cette situation qui risque de mettre sur le carreau de jeunes pêcheurs motivés est incompréhensible. D’autant plus que ces pêcheurs ne sont pas vraiment « gourmands ». Avec des navires de petite taille, économes, et une bonne valorisation de leurs captures, seuls quelques tonnes de lieu jaune leur permettraient de passer l’année. Des solutions pour redistribuer le quota disponible de lieu jaune en 2024 de façon plus équitable et solidaire sont donc tout à fait envisageables.

Afin d’alerter sur cette situation, nous lançons une série de portraits de ces pêcheurs. En espérant que le message soit entendu par les personnes décisionnaires, et qu’une solution puisse être trouvée pour chacun d’eux.

Nous poursuivons cette série avec Victor Plouhinec Guilcher, un jeune pêcheur de 29 ans, basé à l’île de Sein au large du port d’Audierne dans le Finistère.

Victor est un natif du Cap Sizun, à la pointe du Finistère, le berceau des ligneurs du Raz de Sein. Son parcours est atypique mais toujours relié à l’Océan. Plongeur dans la Marine Nationale durant moins de 3 ans, il choisit de retourner à la vie civile et de concilier son amour de la plongée avec celui de la pêche. Il embarquera dans un premier temps à la pêche de l’ormeau en plongée en tant que matelot. Suivront ensuite de nombreuses expériences à la pêche, bolinche, chalut, drague à la Saint-Jacques et filet.

Il rencontre la ligne à la fin des années 2010 en embarquant d’abord comme matelot, puis comme patron à partir de 2020. Sa pratique de la plongée lui permet d’augmenter son expérience déjà riche en tant que pêcheur professionnel. Son entrée dans le métier en tant que patron pêcheur peut donc se faire relativement sereinement lorsqu’en 2023 il fait l’acquisition du Nemrod, un ligneur de l’île d’Ouessant.

Malheureusement, comme la plupart de ses jeunes collègues, le navire qu’il acquiert n’a pas la licence bar indispensable pour espérer capturer le moindre bar au nord du port d’Audierne, notamment autour de l’île de Sein. Il doit donc réaliser un « passe-passe » réglementaire bien connu chez les pêcheurs : racheter un navire doté d’une licence pour pouvoir la transférer sur le Nemrod. Quand on vous dit qu’on fait tout pour aider les jeunes à s’installer !

Dès son navire acquis, il fait une demande d’adhésion à l’Organisation de Producteurs. Demande refusée parce que, ne pratiquant pas le filet, son adhésion n’est pas nécessaire. En effet, en 2023 il n’y a pas de limitation sur le lieu jaune pour les pêcheurs hors OP, le bar n’est pas une espèce sous quota européen, géré par les OP, et accéder à des possibilités de pêche pour le thon rouge ou encore la dorade rose, c’est comme tirer le ticket gagnant au loto…

Sa première année sur le Nemrod est difficile. Quand ce n’est pas l’électronique du navire qui déraille, c’est la ressource ou les tempêtes… Le lieu jaune qu’il trouvait en abondance il y a juste quelques années est beaucoup plus rare.  Le bar également, et les tempêtes de l’automne 2023 le clouent à quai… Alors l’interdiction de débarquer le moindre lieu à partir de 2024 signifie pour lui une menace de mort imminente, et le plonge dans le désarroi.

Le lieu jaune représentait pour lui un des trois piliers de sa stratégie de pêche, avec le bar, qu’il compte pêcher à l’été, puis le « divers » composé d’espèces qu’il ira chercher à la ligne ou au casier : homard, saint pierre, pagre etc. Etant donné le coût important de son bateau, Victor ne peut pas se contenter d’une ou deux tonnes de lieu mais a besoin d’un minimum de 3 ou 4 tonnes pour espérer tirer un revenu de son activité.

Voir toutes les portes fermées à ses demandes le font enrager, et l’ont poussé à prendre un avocat pour plaider sa cause. Nous, association des ligneurs, savons que le temps de la justice n’est pas celui des pêcheurs, et surtout pas des jeunes pêcheurs. Nous espérons par la publication de ce témoignage arrondir les angles et demandons aux structures décisionnaires de laisser une chance à Victor de réussir son installation dans le métier.