Pêche du lieu jaune – Que fait-on pour les pêcheurs menacés ? Portrait de François Caradec
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Le 7 février 2024
Ils s’appellent Gaëtan, François, Romain, Gilles, Eric, Victor … Leurs points communs ? Ils sont tous pêcheurs ligneurs, et dépendent d’une espèce de poisson, le lieu jaune, dont les quotas de pêche ont été brutalement et fortement réduits à partir de cette année 2024.
Autre point commun, ils appartiennent à une certaine catégorie de pêcheurs, celle des « Hors OP » (pour Organisation de Producteurs). Les OP sont des structures regroupant des pêcheurs professionnels, ayant notamment pour rôle la gestion et la redistribution collective des quotas de pêche auprès de leurs adhérents. Dans le cas du lieu jaune, en Manche comme dans le golfe de Gascogne, la quasi intégralité des quotas sont détenues par les OP. En conséquence, les pêcheurs hors OP doivent se partager la part de quota restante dite « hors OP », en l’occurrence quelques tonnes de lieu pour des dizaines de navires…
Pour certains, les conséquences de cette situation sont catastrophiques, le lieu jaune représentant la majeure partie de leur pêche, jusqu’à 90% de leur chiffre d’affaires. Pour un ligneur en Manche, il n’y a aucune possibilité de report sur d’autres espèces, et l’avenir de leur entreprise est menacé à très court terme…
Alors que l’administration, les comités des pêches ou les OP communiquent fortement sur la formation et l’installation de la nouvelle génération de pêcheurs pour remplacer l’actuelle, dont la moyenne d’âge augmente de plus en plus, cette situation qui risque de mettre sur le carreau de jeunes pêcheurs motivés est incompréhensible. D’autant plus que ces pêcheurs ne sont pas vraiment « gourmands ». Avec des navires de petite taille, économes, et une bonne valorisation de leurs captures, seuls quelques tonnes de lieu jaune leur permettraient de passer l’année. Des solutions pour redistribuer le quota disponible de lieu jaune en 2024 de façon plus équitable et solidaire sont donc tout à fait envisageables.
Afin d’alerter sur cette situation, nous lançons une série de portraits de ces pêcheurs. En espérant que le message soit entendu par les personnes décisionnaires, et qu’une solution puisse être trouvée pour chacun d’eux.
Nous poursuivons cette série avec François Caradec, un jeune pêcheur de 38 ans, basé à Camaret dans le Finistère.
François est originaire de Morgat, sur la magnifique presqu’île de Crozon. Il commence sa carrière au chalut, au large, pendant dix ans. Le souhait d’un rythme de vie plus régulier le pousse à s’installer à la petite pêche, comme caseyeur à Saint-Quay. Malheureusement, une mauvaise saison et des tempêtes le poussent à arrêter et reprendre le large au chalut. Mais Fanch avait depuis très longtemps dans un coin de la tête l’idée de devenir ligneur.
Il rapatrie alors toute la famille sur la presqu’île de Crozon, rachète un nouveau bateau, le bel-île et s’installe à Camaret, avec l’aide précieuse de ses collègues de port, Gaël et Stéphane, également ligneurs. Son navire de petite taille, 7m50, lui permet de pratiquer la pêche à la canne et à la palangre pour cibler le bar, son espèce principale. Et quand le bar n’est pas présent, Fanch cible le lieu, notamment à la traine de fond.
Lieu qu’il trouvait en abondance, pas trop loin de la côte, jusqu’à ces dernières années. A partir de 2020, les coins de pêche ont commencé à se vider, les uns après les autres, alors que dans le même temps, il voit se multiplier sur ces bonnes zones les filets posés en plein hiver, période de reproduction du lieu jaune. Une pratique qui n’existait pas avant, et qu’il accuse, en plus de débarquer par tonnes du lieu jaune de mauvaise qualité, de vider intégralement les coins de pêche, dans lesquels le poisson ne revient plus.
Dans l’espoir de retrouver de nouvelles zones de pêches, plus au large, plus loin de Camaret, il investit dans un nouveau navire, plus gros (9 m). Très vite il déchante… ce nouveau navire ne lui correspond pas, trop gros, trop cher, trop gourmand. Et surtout, la diminution globale de la ressource ne permet pas de l’amortir…
Il décide donc de reprendre un bateau plus petit, La Goël, 7m, un navire économe mais très peu polyvalent, qui ne permet pas de pratiquer d’autres pêches que la ligne, mais qui lui correspond bien et colle à sa stratégie de pêche : pêcher le bar en espèce principale, puis le lieu jaune, et enfin des espèces d’appoints, comme le maquereau, le thon rouge (limité à 5 par an), le pagre, le griset, le saint-pierre.
Mais les récentes restrictions de quotas sur le lieu jaune mettent à mal toute sa stratégie. Sans OP, pas de quota, et sans quota… quel avenir ? Le thon rouge est surabondant mais drastiquement limité, le maquereau en sursis, le pagre et le griset en chute libre…
Fanch n’a jamais voulu adhérer à l’OP, car il ne comprenait pas quel intérêt cela représentait. L’OP rachète les invendus aux pêcheurs. Il n’a jamais d’invendus… L’OP gère les quotas de pêche. Il ne pêchait que très peu d’espèces sous quotas, et aucune sous contrainte forte, comme la sole ou les thons. Avec des captures de moins d’une tonne de lieu jaune par an, il ne voyait pas l’intérêt d’adhérer… et n’imaginait surtout pas qu’un jour, il lui serait interdit de capturer le moindre lieu.
Fanch est très attaché à son modèle de pêche à petite échelle. Avec quelques tonnes de poissons par an, bien valorisé, il n’a pas l’impression d’être un destructeur, un de ceux qui pillent la mer sans vergogne, avec toutes les autorisations nécessaires. Il ne comprend pas pourquoi il n’est pas possible de répartir le quota disponible de lieu jaune de façon plus juste, afin d’en laisser une petite part à ceux qui, comme lui, en ont un cruel besoin.