Pêche du lieu jaune – Que fait-on pour les pêcheurs menacés ? Portrait de François Castineiras

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Le 24 janvier 2024

Ils s’appellent Gaëtan, François, Romain, Gilles, Eric, Victor … Leurs points communs ? Ils sont tous pêcheurs ligneurs, et dépendent d’une espèce de poisson, le lieu jaune, dont les quotas de pêche ont été brutalement et fortement  réduits à partir de cette année 2024.

Autre point commun, ils appartiennent à une certaine catégorie de pêcheurs, celle des « Hors OP » (pour Organisation de Producteurs). Les OP sont des structures regroupant des pêcheurs professionnels, ayant notamment pour rôle la gestion et la redistribution collective des quotas de pêche auprès de leurs adhérents. Dans le cas du lieu jaune, en Manche comme dans le golfe de Gascogne, la quasi intégralité des quotas sont détenues par les OP. En conséquence, les pêcheurs hors OP doivent se partager la part de quota restante dite « hors OP », en l’occurrence quelques tonnes de lieu pour des dizaines de navires…

Pour certains, les conséquences de cette situation sont catastrophiques, le lieu jaune représentant la majeure partie de leur pêche, jusqu’à 90% de leur chiffre d’affaires. Pour un ligneur en Manche, il n’y a aucune possibilité de report sur d’autres espèces, et l’avenir de leur entreprise est menacé à très court terme…

Alors que l’administration, les comités des pêches ou les OP communiquent fortement sur la formation et l’installation de la nouvelle génération de pêcheurs pour remplacer l’actuelle, dont la moyenne d’âge augmente de plus en plus, cette situation qui risque de mettre sur le carreau de jeunes pêcheurs motivés est incompréhensible. D’autant plus que ces pêcheurs ne sont pas vraiment « gourmands ». Avec des navires de petite taille, économes, et une bonne valorisation de leurs captures, seuls quelques tonnes de lieu jaune leur permettraient de passer l’année. Des solutions pour redistribuer le quota disponible de lieu jaune en 2024 de façon plus équitable et solidaire sont donc tout à fait envisageables.

Afin d’alerter sur cette situation, nous lançons une série de portraits de ces pêcheurs. En espérant que le message soit entendu par les personnes décisionnaires, et qu’une solution puisse être trouvée pour chacun d’eux.

Nous poursuivons cette série avec François Castineiras, un jeune pêcheur de 33 ans, basé à Douarnenez dans le Finistère.

François a 33 ans, il est embarqué à la pêche depuis 9 ans, toujours à la ligne. Il embarque comme matelot durant deux ans sur un ligneur d’Audierne afin de se former correctement aux multiples compétences que nécessite le métier de la ligne.

En 2017, il prend la casquette de patron pêcheur, avec un navire de 6 mètres, un investissement maitrisé afin de ne pas tomber dans le piège du « toujours plus » : un navire couteux, un endettement important, un effort de pêche soutenu afin de payer les charges qui s’accumulent…

Mais sa carrière de patron démarre en rade de Brest, où il traque principalement les dorades, à la palangre et la crevette au casier. Des captures faibles mais plutôt bien valorisées et un choix adapté à son navire de petite taille et sobre. Une stratégie de pêche qu’il associe avec la vente directe, qui lui permet de s’affranchir de l’absence de criée à proximité et de la volatilité des cours.

Mais deux ans plus tard, il doit se rapprocher de sa famille et déménage en baie de Douarnenez. Cette nouvelle zone est plus propice à la pêche à la canne, qu’il affectionne particulièrement, mais elle lui impose également de nouvelles contraintes. Afin de pêcher le bar, il lui faut impérativement obtenir une licence bar « Zone Nord », qui lui permet de capturer jusqu’à 6 tonnes de bar par an. Seule solution pour lui : vendre son premier canot et en racheter un autre, qui dispose lui d’une licence bar.

Il fait donc l’acquisition du Malpica, un esteou de 7m30, un navire également très sobre en carburant mais très peu polyvalent. Avec, impossible de pratiquer d’autre métier que la ligne ou la canne. Le faible espace à bord ne permet pas  de pratiquer la pêche à la palangre, au casier ou au filet.

Nouvelle zone, nouveau bateau, François doit quasiment repartir de zéro et prospecter pour trouver de nouveaux coins de pêche. Ses deux premières années sont assez fructueuses grâce à son espèce cible, le bar, mais la troisième année s’avère catastrophique : moins 50% au printemps, la saison la plus importante pour le bar… Il sauvera son année grâce au lieu jaune, qu’il peut pêcher malgré son statut « hors OP », les quotas de pêche de lieu jaune n’étant pas encore drastiquement réduits.

Mais en janvier 2024, l’horizon de ce jeune pêcheur s’assombrit. Malgré deux bonnes années sur le bar, il sait qu’il ne peut pas compter à 100% sur cette espèce qui peine à se remettre de la surpêche. Les autres espèces qu’il pouvait cibler en complément, le pagre et la dorade grise, ne se portent pas mieux et leur abondance a fortement chuté depuis quelques années, du fait de l’augmentation de la pression de pêche, exercée notamment par les chalutiers dit « 4 panneaux » qui font des ravages sur les têtes de roches à proximité de la côte.

François ne souhaite pas réaliser une pêche dirigée exclusivement sur le lieu jaune, mais a besoin de pouvoir à minima conserver et vendre les prises accessoires de lieu qu’il fera inévitablement, et pouvoir le pêcher également les jours où les autres espèces qui lui sont, pour le moment, encore autorisées seront moins présentes. Malgré le fait que les quotas de lieu jaune aient été fortement réduits, il est convaincu qu’il est possible de mieux répartir les quelques centaines de tonnes de quotas disponibles afin de permettre à tous les pêcheurs qui en ont besoin, autant ceux en fin de carrière que les jeunes, de maintenir leur entreprise à flot.