Pêche du lieu jaune – Que fait-on pour les pêcheurs menacés ?

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Le 19 janvier 2024

Ils s’appellent Gaëtan, François, Romain, Gilles, Eric, Victor … Leurs points communs ? Ils sont tous pêcheurs ligneurs, et dépendent d’une espèce de poisson, le lieu jaune, dont les quotas de pêche ont été brutalement et fortement  réduits à partir de cette année 2024.

Autre point commun, ils appartiennent à une certaine catégorie de pêcheurs, celle des « Hors OP » (pour Organisation de Producteurs). Les OP sont des structures regroupant des pêcheurs professionnels, ayant notamment pour rôle la gestion et la redistribution collective des quotas de pêche auprès de leurs adhérents. Dans le cas du lieu jaune, en Manche comme dans le golfe de Gascogne, la quasi intégralité des quotas sont détenues par les OP. En conséquence, les pêcheurs hors OP doivent se partager la part de quota restante dite « hors OP », en l’occurrence quelques tonnes de lieu pour des dizaines de navires…

Pour certains, les conséquences de cette situation sont catastrophiques, le lieu jaune représentant la majeure partie de leur pêche, jusqu’à 90% de leur chiffre d’affaires. Pour un ligneur en Manche, il n’y a aucune possibilité de report sur d’autres espèces, et l’avenir de leur entreprise est menacé à très court terme…

Alors que l’administration, les comités des pêches ou les OP communiquent fortement sur la formation et l’installation de la nouvelle génération de pêcheurs pour remplacer l’actuelle, dont la moyenne d’âge augmente de plus en plus, cette situation qui risque de mettre sur le carreau de jeunes pêcheurs motivés est incompréhensible. D’autant plus que ces pêcheurs ne sont pas vraiment « gourmands ». Avec des navires de petite taille, économes, et une bonne valorisation de leurs captures, seuls quelques tonnes de lieu jaune leur permettraient de passer l’année. Des solutions pour redistribuer le quota disponible de lieu jaune en 2024 de façon plus équitable et solidaire sont donc tout à fait envisageables.

Afin d’alerter sur cette situation, nous lançons une série de portraits de ces pêcheurs. En espérant que le message soit entendu par les personnes décisionnaires, et qu’une solution puisse être trouvée pour chacun d’eux.

Nous commençons cette série avec Gaëtan Pinedo, un jeune pêcheur de 32 ans, basé à Saint-Quay Portrieux dans les Côtes d’Armor.

Gaëtan s’est installé comme patron pêcheur ligneur sur un navire de 6 mètres en octobre 2021, après une carrière de 9 ans comme matelot.

Son projet mûrement réfléchi repose sur une philosophie extrêmement honorable : pêcher le poisson à la canne, principalement d’avril à décembre, afin de pêcher avec le moins d’impact sur la ressource et l’environnement, et valoriser le poisson au maximum, pour éviter d’épuiser les ressources halieutiques. Il pratique d’ailleurs la technique de l’abattage Ikejime sur l’ensemble de ses captures afin d’augmenter la qualité de ses poissons. Il débarque l’intégralité de sa pêche à la criée de Saint-Quay, étant très attaché à la vitalité des structures portuaires collectives.

Son objectif de vie n’est pas de pêcher pour gagner toujours plus mais de réaliser un métier de passion, tout en gagnant correctement sa vie. Ce projet reposait sur trois espèces majeures.

En premier, le lieu jaune, qui représentait 75% de son chiffre d’affaires en 2023 avec près de 4 tonnes. N’étant pas adhérent à une Organisation de Producteurs, la pêche du lieu jaune en 2024 lui est tout simplement interdite

En second, le bar, qu’il peut cibler grâce à une licence qu’il a pu obtenir, mais qui ne représente malheureusement pas une ressource suffisamment abondante. Le poids moyen de ses captures reste malheureusement faible, autour d’un kg, et les individus plus âgés sont très rares. Malgré 7 ans d’application d’un ensemble de mesures de gestion pour le bar en Manche, sa situation ne s’améliore toujours pas et ne permet pas à Gaëtan d’espérer en vivre à court terme.

Et enfin le thon rouge, revenu en abondance dans les eaux de la Manche, mais qu’il ne peut pêcher qu’en pêche accessoire, avec une limite de 5 thons par année. Les autorisations de pêche du thon rouge ne sont délivrées aux ligneurs qu’au compte-goutte, et les chances pour lui d’en obtenir, avec un petit quota de quelques tonnes sont donc extrêmement faibles.

Dans ces conditions, le projet d’installation de Gaëtan est directement menacé. C’est pour lui un crève-cœur de devoir abandonner un métier de passion et une totale incompréhension face aux grands discours prononcés par les représentants professionnels, les autorités et les politiques sur l’installation des jeunes et l’avenir du métier de marin-pêcheur.

Mais Gaëtan ne désespère pas et espère par ce témoignage que les personnes et les structures qui ont la possibilité d’agir pourront lui trouver un quota de lieu qui lui permettra de maintenir son entreprise à flot.