Les fonds publics européens servent-ils à acheter le silence des associations ?

A l’attention de M. Stéphane Travert

Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation

Hôtel de Villeroy – 78 rue de Varenne

75007 Paris

 

Copies :

  1. Christophe Mirmand, Préfet de la Région Bretagne
  2. Pascal Lelarge, Préfet du Finistère
  3. Karmenu Vella, Commissaire Européen aux Affaires maritimes et à la Pêche
  4. Loïg Chesnais Girard, Président du Conseil Régional de Bretagne

 

Objet : L’association des Ligneurs de la Pointe de Bretagne dénonce un chantage au financement FEAMP

 

Le 17 septembre 2018

Monsieur le Ministre,

Je vous sollicite en tant que président de l’association des Ligneurs de la Pointe de Bretagne et co-directeur de Low Impact Fishers of Europe. Je suis moi-même pêcheur professionnel en Bretagne, ligneur de bar depuis plus de trente ans. Je vous écris au sujet d’une situation grave à laquelle notre association est confrontée dans le cadre d’une demande de financement pour notre projet au titre du Fonds Européen pour les Affaires Maritimes et la Pêche (FEAMP).

Notre demande de financement pour notre projet intitulé « Promotion du poisson de ligne dans les Pays de Brest et de Cornouaille » a été déposée au titre de l’enveloppe « Développement Local mené par les Acteurs Locaux » (DLAL). Ce projet a pour objectif principal de consolider et augmenter la notoriété des métiers de la ligne et de nos produits. Les actions prévues sont de communiquer sur le métier de ligneur, sur la qualité de nos produits, de mettre en œuvre des partenariats avec les acteurs de la filière et du tourisme et d’organiser des présentations de nos métiers auprès des publics scolaires, entre autres.

Les 28 juin et 2 juillet 2018, nous avons présenté notre projet auprès des « Commissions Mer et Littoral » des deux Pays, les instances chargées de sélectionner les projets, composées de structures publiques et privées (Conseil départemental, associations ou structures professionnelles etc.). Notre projet a été retenu à deux reprises et a reçu par deux fois un avis favorable. Au cours de la réunion du Pays de Cornouaille le 28 juin, le Comité départemental des pêches du Finistère a exprimé devant l’assemblée réunie des réticences à l’idée de subventionner une association dont il n’apprécie pas la communication. Nous avons également été surpris de voir la Direction départementale des territoires et de la mer du Finistère demander à ce que notre association ne communique pas négativement vis-à-vis de la filière. Nous avons répondu en réaffirmant l’indépendance totale de notre association et le principe de non-ingérence d’acteurs externes à nos choix de communication, qui en outre, n’étaient pas l’objet de discussion. Lors de la réunion du Pays de Brest, le 2 juillet, le Comité départemental des pêches du Finistère nous a de nouveau enjoint de « maîtriser notre communication ».

Le 13 août 2018, notre association a été invitée par le Comité départemental des pêches à une réunion « d’échange sur le dossier ligne-bolinche » pour échanger sur les tensions qui opposent ces deux métiers[1]. Durant cette réunion, il nous a clairement été indiqué par le président du Comité départemental des pêches que le financement FEAMP que nous avions obtenu était conditionné à l’arrêt de notre communication.

Cette conditionnalité est arbitraire et illégale. Le Règlement (UE) n°508/2014  relatif au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche ne fait évidemment aucune mention de la possibilité de conditionner l’octroi d’un financement à un contrôle de la communication du récipiendaire. Le dysfonctionnement que cet épisode met en lumière est grave et contrevient au principe de bonne administration tel qu’il est prévu par l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il révèle un circuit d’administration des fonds européens qui prend des libertés fondamentalement contradictoires à tout principe démocratique. Il s’agit d’un abus de pouvoir que nous vous demandons de sanctionner le plus rapidement possible, dans la mesure où tout blocage dans ce financement européen pourrait mettre en péril la survie de notre association.

Dans cette situation de crise et face à de telles pressions, les membres de notre association se sont réunis en urgence pour arrêter notre position collective : nous sommes déterminés à refuser catégoriquement tout financement public qui serait assorti d’une condition aussi inacceptable. Il nous a paru indispensable de dénoncer cette situation, symptomatique d’un fonctionnement opaque et abusif du secteur de la pêche. Le Règlement FEAMP ne prévoit pas d’utiliser les fonds publics aux fins d’acheter la liberté de parole ou la liberté d’action des pêcheurs artisans. Ce chantage au financement public est révélateur d’un dysfonctionnement majeur de notre démocratie.

Nous vous demandons, Monsieur le Ministre, de sanctionner de façon appropriée la gravité de ces faits et de vous porter garant d’une attribution impartiale et strictement conforme au Règlement des fonds européens disponibles pour le secteur de la pêche en France.

En vous remerciant par avance de la promptitude de votre action.

Je vous prie d’agréer l’expression de nos cordiales salutations.

 

Gwen Pennarun

 

[1] Notre association dénonce régulièrement les pratiques et/ou coups de pêche de quelques bolincheurs de Cornouaille au détriment d’une gestion durable et équitable de la pêche. Nous avons également fermement condamné un acte de vandalisme dont un bolincheur a été victime en juillet 2018.